Article – Architecture Sacrée
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Architecture Sacrée
Article de Sylvain Michelet paru sur internet dans le magazine « Clés ».
Des pyramides aux cathédrales, les anciens bâtisseurs savaient marier leur double connaissance du tellurisme et de la dynamique des formes, pour servir un propos symbolique et spirituel : mettre en relation la Terre et le Ciel. « Ils connaissaient la lettre G », dit la tradition. Que cache cette formule ? Et quel rôle une telle architecture pourrait-elle jouer aujourd’hui ?
L’architecture sacrée est une drôle de dame, elle ne se montre que pour mieux se cacher. Pyramides, temples, cathédrales, synagogues ou mosquées, ses édifices couvrent le globe et sont connus de tous. Après des siècles d’existence, ils n’ont rien perdu de leur force. Athée convaincu ou adepte d’une autre religion, nul ne peut les visiter sans éprouver un sentiment de paix qui élève l’esprit et arrache brièvement à la condition humaine. Des règles qui leur ont donné naissance, nous ne savons pas grand-chose, sinon que leurs concepteurs « connaissaient la lettre G ».
G comme Géographie
Imprégnés de culture chamanique, les bâtisseurs des premiers temples n’ignoraient pas que le choix d’un lieu de construction n’est pas neutre. Leurs successeurs pensaient-ils toujours, comme aujourd’hui la géomancie, que les forces cosmo-telluriques s’assemblent en certains endroits pour créer un espace favorisant l’élévation de la conscience humaine ? Ou voulaient-ils simplement conserver le lieu pour mieux écraser l’ancien rite ? On l’ignore, mais une chose est sûre : ils se contentèrent souvent de rebâtir sur les anciens sites sacrés, en adaptant leurs constructions à l’idée du divin de leur époque. Ayant décidé de garder l’emplacement, c’est sur l’orientation des constructions (l’autre élément de leur ‘géographie’) qu’ils jouèrent. La plupart du temps, celle du nouvel édifice différait de celle de l’ancien, et témoignait d’une volonté que l’architecture sacrée appelle « l’intention principale » ayant présidé à sa construction. Ainsi, les mosquées sont tournées vers La Mecque, les synagogues vers Jérusalem et les églises chrétiennes ont traditionnellement leur chevet à l’est et leur entrée à l’ouest. Mais de nombreuses chapelles du Moyen Age ont une orientation différente, une « dédicace », qui aligne avec précision leur axe principal vers le point où se lève le soleil au matin de la fête du saint auquel l’édifice est consacré.
G comme Géométrie
Si l’intention principale des bâtiments religieux était d’honorer un dieu ou un saint, une autre ambition, plus subtile et ésotérique, habitait également leurs concepteurs : permettre aux êtres humains d’évoluer, tel un creuset alchimique où le plomb se change en or. Pour réaliser cette transmutation, les proportions, les formes, les angles, les ouvertures de l’édifice jouaient leur rôle. Ici entrait en jeu la géométrie sacrée, appelée autrefois ‘art du trait’ ou ‘art royal’. Les architectes avaient la conviction que la géométrie, comme l’écrivit au début du XVIIè siècle l’astronome Johannes Kepler, « existait avant la création des choses éternelles comme le divin esprit, bien plus, elle est Dieu et c’est elle qui Lui a donné les clés pour la création du monde ». Remontant, en Occident, aux mathématiques de l’école pythagoricienne et aux « corps parfaits » de Platon (reliés aux quatre éléments), et nourri des compétences techniques des constructeurs du temple de Salomon et des pyramides égyptiennes, ce savoir s’appuyait sur une connaissance symbolique des nombres et de leurs rapports entre eux, sur des règles d’analogie et des lois de similitude. Réservé aux maîtres bâtisseurs après un long parcours comme apprentis puis compagnons, il permettait de matérialiser dans l’espace le lien entre les mondes spirituel et matériel.
Le chiffre 4, par exemple, donne le carré, le rectangle, le cube. C’est une forme peu répandue dans la nature, et de création humaine. Symbole d’humanité – et déployée plus tard en croix dans les églises chrétiennes – elle servait de modèle aux alignements des fondations et à la base des édifices. Le cercle, invention divine à l’instar de la voûte céleste et de la rondeur des planètes, aidait au dessin des croisées d’ogive ou des coupoles. L’utilisation du nombre d’or, la « divine proportion », permettait à toutes ces formes de s’approcher au mieux de l’harmonie parfaite.
Un renouveau en vue
A l’heure où chaque maison aurait besoin de devenir un temple, l’architecture sacrée ne mériterait-elle pas d’être plus répandue, de devenir laïque ? Ignorée des écoles, diluée sous forme de principes moraux dans l’enseignement des Compagnons du tour de France, ou de raisonnements purement spéculatifs dans celui de sociétés initiatiques comme la Franc-Maçonnerie, elle reste un objet de recherche pour quelques amateurs éclairés et professionnels atypiques. Ils tentent de retrouver, en prenant les mesures des édifices anciens, les tracés régulateurs qui leur donnèrent naissance, ou développent leurs propres méthodes à partir de techniques plus modernes et de leurs intuitions. Sauront-ils redonner vie à l’art « royal » ? On trouve déjà, ici ou là, des caves de vinification, des centres d’aide par le travail ou des lieux de séminaire construits selon ces principes. Une nouvelle génération de bâtisseurs semble se mettre en marche. Alors, à quand des hôpitaux, des parlements, des immeubles capables de prodiguer à leurs hôtes illumination, sagesse et sérénité ?
De mystérieux tracés
Les plans des maîtres d’œuvre de l’architecture sacrée se nommaient, au Moyen Age, « tracés régulateurs ». Mais régulateurs de quoi ? Des énergies cosmo-telluriques, de vibrations issues des bâtiments, de la juxtaposition de différentes formes, de leurs proportions, de tout cela à la fois ? Schémas complexes, souvent à base de pentagones, d’hexagones et d’octogones inscrits dans un cercle, ils étaient tenus secrets : on ne possède que quelques dessins, tels, en France, les carnets de Villard de Honnecourt, maître d’œuvre au XIIIè siècle.
Les hauts-lieux
L’un des plus anciens sites de prière au monde, à Louxor en Egypte, a vu se succéder temple au dieu Amon, sanctuaire gréco-romain, église chrétienne et aujourd’hui mosquée. On pourrait multiplier les exemples : église du Panthéon à Rome, Notre Dame de Paris, cathédrale de Chartres ou de Cordoue, toutes sont bâties sur d’anciens lieux de cultes païens, souvent à l’aide des mêmes matériaux, comme ces colonnes d’un temple dédié à Mars intégrées dix siècles plus tard dans l’église Saint Pierre de Montmartre. Quant à la Kaaba, autour de laquelle les musulmans tournent lors du pèlerinage à La Mecque, elle contient une pierre noire vénérée en ce lieu longtemps avant la naissance du Prophète.
Sylvain Michelet